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Lightsangel
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9 novembre 2006

Par Trois Fois (conte d'Hiver)

Un.

Deux.

Trois.

De trois lourdes poussées, les battements du clocher au loin ont retenti, sous la nappe brumeuse de la nuit trop sombre, entre le voile des étoiles mourantes et de l’astre poli.

Trois silences précédant ton absence qui m’étreint en caresses glaciales, chaque fois que ton image se mêle à nos souvenirs oubliés, perdus, sur les pages de ces vieux manuscrits poussiéreux portant, haut, portant, forte, l’empreinte de tes doigts et de ton encre.
Plongeant en moi, trois fois, le temps est passé en mois, puis en années, les toiles arachnéennes tissant leur trame filandreuse sur ces livres que tu aimais tant, et sur le miroir, maman, où ton reflet perdure, quand je m’y mire.

Trois printemps, trois étés, avant l’hiver fatal, les flocons de la neige duveteuse parsemant mes cheveux, glissant sur les perles moirées du ciel, pleurant ta perte.

Ta tombe est blanche, le marbre scintille aux rayons incertains de l’astre, blanche comme notre vie ne l’a jamais été, la couleur délayée par les larmes que je n’ai pas versées, maman, car la douleur me porte encore, me grandit, me dresse fièrement et me permet de te survivre. Alors, pourquoi la laisser rouler sur mes joues, en appel de ton amour ?

Trois étreintes de la pierre meurtrie par mes baisers, et les fleurs déposées en offrande à la nuit.

Qu’elle me pardonne, de devoir éveiller les rêves et le mal, et qu’elle m’entoure de sa ganse de velours opaque, avant de sombrer.

Trois secondes d’inertie dans ce monde étouffé, ouaté, parfois tressaillant aux murmures sinueux des dernières feuilles résistantes, des derniers arbres aux branches torves, et aux racines perdues aux confins de la terre.

Agenouillée, la neige cotonneuse tâchant ma robe de soie en plis épars, filtrant sous les fins jupons de dentelles ses esquisses humides, je serre les mains et te les tends, trois fois sous le vent giflant mon visage, trois fois la paume tournée sur le marbre qui, lentement, si lentement, se fêle…Et des volutes insouciantes de l’univers qui s’éteint, et de la lune qui se voile, filtrent à travers la toute première des failles, amassant en leur sein palpitant leur cœur gelé en parcelles de cristal.
Une aile, puis deux, s’envolent à l’essor d’une phalène de feu.

Par trois fois, le fragile insecte, à peine plus épais qu’un de ses traîtres flocons que vomissent les nuages, comme désagrégés d’avoir tant vécu, tressaille, et se laisse emporter par la brise levante. Et de ses minuscules ailes de transparence nacrée, aux nervures délicatement ciselées de pourpre et de noir doré, rampent les odeurs de souffre et de miel mêlées, et ton parfum, maman, transparaît en filigrane, filament de passé trop tendre sous la tapisserie des effluves présentes…Même les arbres ont fini par se taire, et la pierre gémit, gémit, se brise et se rétracte, s’enlise et s’enroule à mes jambes immobiles.

Un.

Deux.

Trois.

Le carillon sonne une dernière fois, mais son lourd tressaillement guttural se perd dans le lointain.

La phalène s’est ancrée dans l’interstice membraneux entre mon pouce et mon index, et elle résiste à présent, les pattes duveteuses agrippant ma peau, ses ailes battent si fort, prenant leur essor, battements de ton cœur enfermé dans la crypte de notre passé englouti, là, sous, dessous, la boue et le marbre exhalant ses plaintes.

Le présent nous tend ses mains de sang, maman, et je me tords sous la pression de tes effleurements invisibles, comme l’insecte grandit, se mue, laissant sa poussière d’étincelles endiablées brûler mes vêtements, recouvrant le spectacle de nous, de toi, de moi, de feuilles mortes en douces enveloppes de gel, et d’ombre, et d’ombre…De bruns, mes cheveux deviennent noirs, bris de la nuit enserrant mon visage pâle, mes bras se chargent de l’épais linceul qui fut tien, d’un blanc moucheté des coulures de l’herbe et de la terre, et je deviens.

Toi.

Ton odeur m’assaille de toutes parts, la respiration haletante sous ma poitrine have, violettes fanées d’un trop long automne, alors que déjà le froid ne t’atteint plus, et que doucement, au rythme des chants des buissons chétifs bordant l’allée aux dalles disjointes, nous nous relevons, droites, nos longues boucles voletant au gré de nos soupirs meurtris.

Une fois, tu auras oublié de lever la tête sous l’injure, une fois, maman, une fois aura suffit pour te briser à jamais.

Par deux fois, nous nous vengerons, nous vengerons les cris enfouis sous un oreiller trop étroit pour me les cacher, nous jetterons sur l’opprobre les flammes léchées de notre souffrance, et nous oublierons la corde, maman, ce ruban de velours passé sous le lustre de diamants et de bougies suintantes de cire froide, offerte à notre regard comme un vibrant reproche, un soir d’hiver où le vent marquait de ses mains avides le passage du temps, et la fin de tout…

Que la nuit nous pardonne d’avoir tant espéré.

Par trois couloirs nous passons, vides sous l’opulence factice de ses meubles de bois creusant l’abîme de ta non présence, maman, car la richesse ne remplacera jamais les contes dont tu emplissais mon enfance, et les pendules, depuis toi, n’ont plus jamais voulu se remettre à égrener les heures, les jours et les semaines, détachées de la réalité. Les aiguilles se sont couvertes de tes cendres grises, et des raies de poussière. Notre maison est un tombeau de phalènes, où quelques uns de tes longs cheveux, de temps en temps, viennent se prendre aux rideaux de mousseline de ma fenêtre, seules marques de vie, de mort, et d’existence éphémère.

Par trois fois nous le regardons rêver, sa figure sculptée par les lueurs mouvantes de la lampe, le sourire errant sur ses lèvres trop minces pour aimer, et par trois fois nous respirons sur lui le parfum nébuleux, lourd, de cette femme qui déjà a pris ta place, comme si il y avait une place à prendre sur un trône : ne sait elle donc pas que les tyrans sont les seuls à régner ?

Il dort, maman.

Le corps épuisé par trois hivers d’une insomnie douloureuse, nous levons les bras, laissant les plis du linceul déchiré se tordre en moites succions sur sa peau dénudée, mais, déjà, le drapé de terre et de lin a fait place aux ailes diaprées, d’agate et de rubis, de la phalène de notre amour détruit. Sur leur plasma ondulant de fines raies ourlées d’or, s’esquissent, maman, ta douce figure d’albâtre, les yeux de néant et leurs cercles de nuit, et mon propre reflet, en pulsations incertaines ; et ses paupières luisantes s’ouvrent sur la peur, la crainte, alors que son cri se maintient entre sa gorge où la pomme d’Adam vibre en silence.

Trois années j’ai attendu, mon père, que la nature me fasse femme, entre la pomme rouge du péché et la douceur sucrée des lèvres de l’Eve originelle, et j’ai choisi ce soir, cette nuit, pour te faire entendre la voix de ma mère, et la mienne.

Peux tu seulement encore la comprendre ?

Tu serres l’édredon contre ton cœur, en un bien vain rempart de plumes qui noircit sous les frôlements acérés de nos mains de sépulture, où se lisent les tracés de la terre et des herbes sauvages ; déjà la phalène est entrée par le bris de la fenêtre cédant sous le poids de ta culpabilité atroce, et elle ne te quittera plus.

Nous sommes un miroir de glace qui te renvoie les échos de ce que tu as fait, père, et notre folie morbide se balance au gré d’une corde, sous les myriades d’éclats de cristaux à présent silencieux, immobiles, la cire depuis trop longtemps sèche entre les bougies d’or.

Par trois fois nous naîtrons, maman et moi, unies comme aujourd’hui, par trois fois nous te ferons revivre nos derniers moments, dans les hurlements qui déchireront ta voix, puis par les effluves de la tombe, et enfin au spectacle de nos larmes.

Un.

Deux.

Trois.

Notre pas résonne au souffle de nos ailes qui se replient, et le piano, dans ce salon où le feu achève de meurtrir ses cendres, laisse s’échapper les premières notes de notre symphonie. Une, deux, touches, blanches et noires, comme nous le sommes, filtrent leur tintement fragile au travers des cris de mon père, qui, là bas, enfoui dans sa chambre comme au premier instant de sa vie, se trouve nu, et seul, face à notre insecte vengeur. Crie, fou, crie la souffrance que tu as délaissé derrière toi en mue d’une peau trop étroite, enserrant le corps et meurtrissant les chairs fragiles, en dessous…

Crie, fou, tu ne combleras jamais le gouffre que tu as creusé en nous, et la tombe vide de ma mère, et la place vide en mon coeur, là où rien ne vivra plus jamais.

Crie, puisque je ne le peux pas, et hurle pour moi.

Un. Le chemin est si rude sous nos pieds qui se heurtent aux dalles mousseuses de l’allée, derrière le manoir où la brouillard coud, de ses doigts de vieillard, le début d’une nouvelle histoire, et nos mains tremblantes, maman, oh, maman, se couvrent de sang, il s’immisce dans les lignes de notre paume, et y laisse ses cicatrices de jaspe rouge, et il y trace les couleurs d’un tout autre dessin sur ta tombe de marbre trop pâle.
Par deux fois il paiera, maman, mais ma peine, laisse-moi la verser, puisque mon dos se déchire sous la tension de ton esprit fantomatique, l’étreinte de ton visage sur le mien se retirant, et les odeurs de terre fangeuse et de violettes, maman, ne les emporte pas avec toi entre les fêlures de la pierre, donne-les moi, tends sur les arbres inertes accrochant les bribes de la nuit et de l’éternité, ton parfum d’enfance, comme on tisse l’aube des matins pluvieux, que j’y pose mes lèvres en secret, pour te respirer, encore, dans un souffle…

La troisième fois, je le jure, alors que j’essuie inutilement ma peau sur les plis de ma robe tachetée, je pleurerais.
Et la phalène mourra sous les battements de mon cœur, là où le temps n’a pas d’emprise, là où règnent les notes enfouies de notre berceuse, maman, que je chante au fond de moi.

Que la nuit nous pardonne d’avoir voulu croire aux contes que nous avons aimés.

Que la nuit abandonne, puisque nous sommes damnées.

Jamais il ne fera plus sombre qu’en notre âme, maman, mais c’est là où je t’attendrais.

eshreemn_1600_1200

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Commentaires
P
... d'un coup j'ai attrapé froid moi... tu arrives toujours à me transporter dans ton monde!<br /> <br /> Gros bisous à toi!
L
Merci. je tiens à dire que le côté fantastique horrifique de cette malédiction est totalement volontaire c'était une commande pour halloween...non je ne suis pas une névrosée, quoique...;)
L
Quand meme de retour... ca fait du bien de te lire
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